Sombre et cinglant a été le constat de la Banque Mondiale (BM) sur l’économie tunisienne dans sa dernière «Revue des politiques de développement» sur la Tunisie,intitulée «la révolution inachevée». Sombre, car même les experts de la BM n’arrivaient pas à trouver des explications rationnelles comme pour les six «pourquoi» de la note succincte de la Revue. Cinglante, la Revue l’a aussi été par les vérités, parfois amères que la BM a fini par dire sur la situation de l’économie tunisienne de l’après révolution. Un constat et des vérités, qui font de cette Revue un véritable réquisitoire contre l’héritage de l’ancien régime et l’incapacité des forces de l’après révolution à changer et à faire changer.
Cet amer constat, intervient alors que la Tunisie termine, avec une lente cadence, sa 3ème période transitoire dans un brouhaha politicien qui donne peu d’espace médiatique à la question économique et avec des partis dont les programmes économiques sonnent creux, tant est lourde la tâche de la reconstitution d’une économie dévastée par plus de 3 années de révolution à tout bout de champ.
- Les 6 Pourquoi de la BM.
Au début de la note concise faite du volumineux rapport portant le même titre (La révolution inachevée), la BM se demande pourquoi en Tunisie la productivité du secteur manufacturier reste très faible et proche de celle du secteur agricole ? Pourquoi 77 % des travailleurs tunisiens occupent un emploi dans des secteurs à faible productivité ? Pourquoi 74 % des nouveaux emplois sont-ils issus de l’auto-emploi et qu’il y a très peu de grandes entreprises ? Pourquoi les entreprises innovantes et productives ne sont-elles pas récompensées en Tunisie ? Pourquoi l’intégration de la Tunisie dans l’espace européen est-elle superficielle (55 % des exportations se font sur deux des 28 pays de l’UE) ? Pourquoi enfin, les entreprises tunisiennes sont-elles incapables de dépasser le cap du montage et les tâches à faible valeur ajoutée ?
- 2 milliards USD/an est le coût de la non-concurrence et 13 % du CA est le coût de la bureaucratie.
Dans le chapitre des constats qui pourraient apporter un semblant de réponse aux 6 questions, la BM évoque d’abord le manque de concurrence dans une économie tunisienne qu’elle qualifie de protectionniste. «L’absence de concurrence coûte à l’économie plus de 2 milliards USD par an , soit près de 5 % de ses richesses». Elle cite le cas de «220 entreprises confisquées à Ben Ali, qui ne représentent que 1 % de l’emploi et réalisent 21 % des bénéfices du secteur privé » assurant que «près de 4 ans après la révolution, le système des politiques économiques qui sert d’écran de fumée pour le recherche des rentes, reste intact».
Pour les entreprises qui évoluent dans des secteurs concurrentiels, la BM assure que «la gestion des lourdeurs bureaucratiques et réglementaires absorbe 25 % du temps des dirigeants et près de 13 % du chiffre d’affaire des entreprises». Et la BM d’être encore plus cinglante dans son constat sur l’environnement économique tunisien de l’après révolution : «Le résultat est un environnement basé sur les privilèges et les rentes, qui inhibe l’émergence d’entreprises compétitives».
- Les lobbies s’opposeront fermement à tout changement.
Parlant des politiques économiques en Tunisie, les experts de la BM trouvent qu’elles sont «nombreuses, pour la plupart bien intentionnées, mais malavisées». Elle cite ainsi le code du travail qui «ne favorise pas l’investissement» et une politique d’incitation aux investissements «onéreuse et n’a contribué, ni à la création d’emplois, ni à la réduction des disparités régionales», avec des incitations «qui sont en grande partie une forme de gaspillage, puisque 21 % seulement des entreprises » en auraient eu réellement besoin et qu’elles aboutissent au coût excessif de «30.000 DT par emploi et par an pour chaque emploi supplémentaire».
Pour la BM, le changement ne sera pas facile … presque impossible. «Les privilèges et les rentes associées au système actuel, sont profondément enracinés et les lobbies s’opposeront fermement à tout changement qui les priverait de leurs privilèges». Un amer constat que confirme ce qui se passe en Tunisie depuis plus de 3 ans. Une Tunisie où le système Ben Ali n’a presque pas changé d’un iota. La révolution n’a pas supprimé les privilèges. Elle en a simplement changé les bénéficiaires. «En outre, l’application des réformes économiques, chère à l’administration tunisienne, constitue un risque pour l’avenir du pays » assène enfin la Banque Mondiale.
AfricanManager